Intelligence spirituelle : que peut-elle apporter aux leaders ?

C’est encore timide en France mais c’est notable : l’intelligence spirituelle – que l’on pourrait aussi qualifier d’intelligence existentielle – est aujourd’hui abordée dans certains programmes de leadership et de coaching de haut niveau.

En France, cette terminologie est encore peu connue car les freins sont nombreux tant la confusion demeure entre religion et spiritualité (et tant nos réflexes laïques sont affûtés). Le mot « spirituel » est encore plus tabou dans le monde du travail où chacun semble renvoyé à sa vie privée pour cultiver sa spiritualité sans jamais la partager avec ses collègues. Et pourtant…

A une époque où la soif de sens n’a jamais été aussi forte à tous les échelons de l’entreprise, notre intelligence spirituelle n’a-t-elle pas quelque chose de précieux à nous apporter ?

La terminologie d’intelligence spirituelle a émergé au début des années 2000 lorsque Danah Zohar, physicienne américaine également diplômée en philosophie et psychologie évoque un troisième type d’intelligence dans son ouvrage  « SQ – Spiritual Intelligence, The Ultimate Intelligence ». Cette professeur émérite de management (décrite par le Financial Time comme « l’un des penseurs en management les plus influents au monde) s’est attachée à étendre les travaux sur la physique quantique au champs de la conscience humaine et des organisations. Depuis, la littérature s’est étoffée, des tests de QS (Quotient Spirituel) sont également apparu pour nous permettre d’évaluer les qualités présentes et à développer.

green-1072828_960_720Développer son intelligence spirituelle, voici selon moi l’un des plus beaux défis du leader éclairé du 21ème siècle. Car cette forme d’intelligence – que l’on peut par ailleurs rapprocher de la sagesse des anciens – semble offrir de nouvelles clés d’appréhension, de compréhension et d’action aux décideurs, comme en réponse à un monde devenu trop complexe pour notre seule rationalité. Comme si il était devenu urgent que les dirigeants convoquent désormais toutes leurs intelligences pour relever les défis majeurs de notre temps.
Il n’existe évidemment pas de définition unanime de l’intelligence spirituelle (et c’est tant mieux). Si dans le cas de l’intelligence cognitive,  il s’agit de penser, dans le cas de l’intelligence émotionnelle de sentir. Dans le cas de l’intelligence spirituelle, il s’agirait d’être. Etre pleinement qui nous-sommes, c’est-à-dire des hommes et des femmes inscrivant leurs actes et leur vie dans quelque chose de plus vaste qu’eux (que l’on peut appeler suivant ses croyances appeler l’univers, la nature, Dieu ou la vie) et dotés de la capacité de se mettre à l’écoute d’autres « sources d’inspiration et de compréhension» du monde et des lois du vivant.

Si l’on s’en réfère à la littérature existante, les caractéristiques de l’intelligence spirituelle peuvent recouvrir un champs très vaste. Voici quelque premiers traits qui me semblent intéressants à explorer pour les décideurs de l’entreprise :

  • Se questionner régulièrement sur le sens et l’origine des choses et sa propre place dans l’univers. En tant que personne, cette exercice nous amène immanquablement à considérer notre vie dans une perspective plus large (quel est son sens, à quoi contribue-t-elle…). Elle nous invite à nous relier à quelque chose « de plus grand que nous ». Appliqué dans le champ de l’entreprise, elle amène le leader à voir son organisation dans l’ensemble plus vaste auquel elle appartient. Elle lui permet de sortir d’une vision esseulée et compétitive dans laquelle l’entreprise est supposée se « battre » seule pour assurer sa survie pour aller vers une vision holistique de son environnement : considérer les fournisseurs, clients, collectivités et associations locales et même concurrents comme des parties prenantes, étudier les relations d’interdépendances et les synergies, passer de la compétition à la coopération et ainsi nourrir la réflexion d’une « mission d’entreprise augmentée » où la contribution de l’entreprise à son environnement dépasse les « mission statement » traditionnels (par ailleurs souvent devenus obsolètes).

    Convoquer son intelligence spirituelle permet donc de mettre en lumière certaines « architectures invisibles » pour envisager de profondes transformations stratégiques.

  • Avoir conscience de sa vision du monde. Reconnaître que celle-ci est limitée par nos perceptions (par nos « filtres » que sont nos sens, notre expérience de vie, nos croyances…), que cette vision est parfois limitante voire enfermante et qu’elle diffère par définition de celle d’autrui. En période d’incertitude ou de réinvention, avoir une conscience aiguë et régulière de sa vision du monde permet de mettre en parenthèse plus facilement ses automatismes de pensées et ses préjugés pour « suspendre notre jugement » et ouvrir notre esprit à l’émergence de solutions radicalement innovantes.
  • Identifier ce qui fait votre singularité en tant qu’individu. Dans le grand tout interdépendant que représente l’univers (et qui est démontré chaque jour un peu plus par la physique quantique) et au milieu de 7 milliards d’humains, chaque individu sur cette planète a cependant, par essence, une singularité existentielle. Et chacun a donc par conséquence quelque chose d’unique à apporter au monde. Cette singularité est le fruit d’une combinaison de traits (innés, acquis) et d’un parcours de vie unique. Chaque personne est notamment dotée de forces et de talents spécifiques qui, s’ils ont la possibilité de s’exprimer, non seulement lui procure une joie et une satisfaction profondes (que l’on connecte dans l’expérience de flow décrite en psychologie profonde) mais aussi lui permettre de déployer toute sa puissance d’être. Pour un leader en particulier, faire ce travail d’exploration et d’acceptation de sa singularité est à la fois magnifique, libérateur et source d’impact et de rayonnement: si je me reconnais pleinement dans ma singularité, dans mon grand Soi (« higher Self »), je n’ai plus à chercher à l’extérieur la reconnaissance existentielle et je peux me libérer plus facilement des pièges de l’égo (le « petit soi », qui se nourrit notamment de peurs et de plaisirs superficiels extrêmement consommateurs d’énergie tel que la recherche de notoriété, d’argent ou de pouvoir). Etre pleinement soi et vivre ses talents (mais accepter aussi ses ombres et ses limites) permet non seulement de cultiver un charisme authentique et fortement inspirant mais aussi d’apporter une différence significative et positive pour le monde.
  • Savoir se mettre à l’écoute du flux de la vie. Frédéric Laloux l’évoque dans son ouvrage référence (Reinventing Organizations) : face à un avenir devenu complètement imprévisible, les dirigeants des organisations « opales » ne cherchent plus à « forcer l’avenir » avec des business plan et des schémas directeurs. L’intelligence spirituel du leader peut lui permettre de se mettre à l’écoute de là où son organisation – considérée dans une certaine mesure comme un organisme vivant – semble vouloir aller. En écoutant les signaux faibles venant des clients, les remontées des équipes sur le terrain ainsi que sa propre intuition, le décideur trouve ainsi des clés d’anticipation et d’inspiration précieuses. Il peut ensuite les rapprocher utilement de ses analyses rationnelles qui répondent, elles, à une logique prédictive du futur qui montre désormais cruellement ses limites. Cette faculté emprunte à l’intuition mais va peut-être au-delà : elle nécessite, pour le leader, une véritable discipline. Celle de cultiver un qualité de présence « à ce qui est » et de créer des espaces d’intériorité (qu’offrent par exemples les pratiques méditatives ou contemplatives) qui vont lui permettre de fonctionner non pas « à l’intuition » (souvent confondu avec « l’instinct ») mais à un niveau de conscience élargi de son action et de celle de son entreprise.

Romain CRISTOFINI – Décembre 2016

 

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