Les égos forts des leaders ont souvent été décriés tout en restant tolérés (voire valorisés). Mais la réalité de l’entreprise n’est plus la même.

Chez un leader, savoir mettre à distance son égo devient non seulement une nécessité en termes de performance mais représente une voie libératrice pour celles et ceux qui désirent accéder à une puissance d’un autre ordre et s’accomplir pleinement.

 

Qu’est-ce l’égo ?

Donner une acceptation de l’égo peut paraître une gageure tant ce concept est complexe, passionnant et varie selon les approches psychologiques ou spirituelles que l’on adopte.

On peut considérer l’égo comme l’un des deux logiciels de survie que l’homme développe au cours de sa construction en tant qu’individu (le deuxième logiciel étant le « mental », notre machine à penser). Il s’élabore au fur et à mesure que nous réalisons que nous sommes un individu séparé des autres. Prendre conscience de notre différence, de nos qualités et de nos défauts et bien construire notre égo sont essentiels ; ce dernier est d’ailleurs considéré par les psychologues comme le fondement de la personnalité (une personne dépourvue d’égo serait psychotique dans le sens où il lui manquerait une structure identitaire psychique indispensable pour gérer son rapport à l’autre et à la réalité).

L’égo est donc indispensable et il ne s’agit pas de le chasser ni de le supprimer. Il s’agit davantage de mesurer l’influence démesurée que ce “logiciel” exerce sur notre vie et plus précisément dans notre action en tant que décideur.

Car l’égo grandit au fur et à mesure de la progression dans l’organigramme et il est à la fois limitant et source de souffrance.

blague-egoBoulimique, pervers et subtil (car fonctionnant en marge de notre conscience), notre égo se nourrit de tout ce que nous vivons comme expériences, succès mais aussi échecs. Obnubilé par la peur de sa propre mort, il recherche les plaisirs à court-terme, ne juge qu’à l’aune de son propre intérêt. Il personnifie tout ce qui nous arrive, nous compare aux autres, critique l’autre. Il s’approprie en permanence une grande partie de notre énergie psychique pour s’auto-alimenter.

Comment expliquer cette hypertrophie ? Il y a fort à parier que l’individualisme de notre époque (et ses diverses injonctions au bonheur et au plaisir), notre système éducatif (qui valorise dès le plus jeune âge les succès personnels), la compétition qui prévaut dans les relations sociales et professionnelles ou encore les démarches de développement personnel elles-mêmes (lorsqu’elles se limitent à une exploration auto-centrée et complaisante de soi) y aient contribué.

Mais la raison principale réside peut-être dans la méconnaissance de la nature de notre esprit. Le problème réside non pas dans l’égo lui-même mais dans le fait que nous nous identifions à lui. Lorsqu’il est inconscient des jeux de l’égo, l’univers intérieur du leader se limite ainsi à ce « petit moi » qu’il croit être lui. Il s’empêche ainsi d’accéder à des ressources intérieures bien plus vastes, d’élargir sa compréhension du monde et des autres et d’opérer une bascule fondamentale dans sa façon d’exercer son pouvoir.

L’erreur fondamentale du leader est de ne pas réaliser que, s’il veut être plus performant pour son entreprise et pleinement se réaliser, il doit apprendre à se désidentifier de son égo.

Voici 6 raisons essentielles qui peuvent nous inciter à apprendre à mettre votre égo à distance. Les quatre premières relèvent de bénéfices personnels qu’un leader peut en retirer. Les deux suivantes élargissent ces bénéfices à toute l’organisation.

1.      Se libérer d’un saboteur interne et gagner en solidité intérieure

A notre insu, l’égo a la fâcheuse habitude de se saisir de tout événement significatif car il possède deux visages : l’orgueil (qui est bien connu) et la dévalorisation (moins connue, dont les trois poisons sont le jugement, la honte et la culpabilité). La petite voix de l’égo biaise notre jugement des faits en personnifiant tout ce qui nous arrive, par exemple en nous attribuant tous les lauriers d’une réussite ou l’entière responsabilité d’un projet raté. Un échec professionnel pourra donc entamer notre estime de soi de manière disproportionnée. Un succès pourra nous faire surestimer la part que nous y avons pris et négliger l’apport des autres.

Centré sur lui-même, l’égo amène à tout faire par soi-même. Il enferme le leader dans la posture solitaire de « sachant » ou de « chef », de celui qui doit tout savoir ou tout décider. Il empêche de demander de l’aide, quitte à essuyer un échec (dont il se nourrira de toute façon aussi en alimentant un discours intérieur de victime).

Cette voix intérieure du jugement et les comportements qu’il induit peuvent engendrer beaucoup de souffrance personnelle et, derrière les apparences de façade, une certaine forme de fragilité (qu’il faudra à son tour s’efforcer de dissimuler…).

Débusquer ces mécanismes de l’égo, c’est gagner en humilité et, paradoxalement, en solidité. C’est parce que lâcher l’égo me permet d’assumer mes failles, mes vulnérabilités et de les partager à autrui que je gagne en solidité intérieure. C’est parce que j’ose le faire sans crainte de conséquences (souvent illusoires) sur mon image ou mon autorité que je peux susciter une véritable confiance chez ceux que je guide.

2.      Retrouver notre véritable liberté intérieure

Les excès choquants de certains dirigeants en la matière nous le rappellent régulièrement : l’égo se manifeste de façon visible dans la quête de pouvoir, l’accumulation d’argent ou de biens matériels démesurés, une belle carrière dans une société renommée ou la recherche de notoriété personnelle. Or ces attributs de la réussite sont également des prisons. Ils créent un attachement et une peur de les perdre qui aliènent notre liberté, nous amènent à porter un masque, affaiblissent notre libre-arbitre et anesthésient notre volonté de vivre la vie que nous voulons vraiment avoir.

Le leader détaché de ces faux besoins recouvre une grande liberté intérieure. Il n’a plus peur de perdre un poste ou un statut (ou une voiture de fonction). Il peut se concentrer sur ce qui fait réellement sens pour lui, être à l’écoute de ses valeurs et élaborer et porter une vision qui, au lieu de nourrir ses propres intérêts, sera réellement au service de sa société.

3.      Accéder à une énergie insoupçonnée

L’égo nous « vole » une quantité d’énergie considérable.

Pensez aux leaders inspirants les plus connus ou à certains maîtres spirituels (comme le Dalaï Lama). Ce qui frappe souvent chez eux, c’est qu’ils semblent dotés d’une énergie à la fois inépuisable, puissante et sereine (très différente de celle d’un Donald Trump !).

Se libérer des pièges de l’égo, c’est en fait récupérer une quantité d’énergie incroyable qui était jusqu’ici utilisée à occuper notre mental, à déclencher des émotions excessives, à maintenir une image fausse de nous-même, à nous dévaloriser, etc.. Tout cette activité de l’égo est énergivore et épuisante…

Par effet de vases communicants, la neutralisation de l’égo nous offre un apport d’énergie spectaculaire. Quand je n’ai plus à porter de masque, plus à convaincre, plus à me justifier, à me dissimuler, je peux (re)trouver une quantité d’énergie psychique considérable. Pour un mieux-être et pour rediriger mon attention et mon action vers ce qui importe vraiment.

4.      Accéder à un leadership plus authentique et plus puissant

L’égo nous limite dans l’expression de notre plein potentiel car il nous enferme dans une représentation étriquée de nous-même. Par besoin de nous conformer à une image de nous-même ou à une personnalité figée que nous croyons avoir (celle que nous renvoie aussi notre entourage et à laquelle nous nous sentons obligés de rester fidèle par peur d’être jugé), nous nous coupons de notre « moi véritable», de notre grand Soi, qui est bien plus vaste.

Si le leader entame un chemin authentique de connaissance de soi (via par exemple le coaching, la thérapie ou des pratiques méditatives), il peut identifier et reconnaître ses qualités, ses défauts et ses ombres et habiter pleinement toute sa singularité. Ce faisant, il acquiert progressivement une sécurité et une confiance ontologiques inébranlables : sachant qui je suis vraiment et ce que j’amène de singulier aux autres et au monde, je n’ai plus besoin de me comparer, de jouer un rôle, ni de cacher mes faiblesses. Je peux être pleinement moi-même, authentique et aligné avec mes valeurs et ma raison d’être.

5.      Libérer l’intelligence collective dans l’organisation.

L’égo est un tueur d’intelligence collective.

Parce qu’il nous pousse à vouloir convaincre l’autre, à défendre nos idées (comme si elle démontraient notre propre valeur) ou à vouloir imposer notre vision des choses, l’égo entrave toute démarche d’intelligence collective authentique et fertile. Parce que le leader égotique perçoit l’autre comme une menace potentielle, il ne pourra pas s’entourer de personnes brillantes capables de le challenger. Il se recrutera lui-même au lieu de recruter la différence. L’égo est un tueur d’équipe qui isole le leader et limite son organisation.

C’est lorsque le leader ose dire « je ne sais pas » qu’il montre son humanité et ouvre l’espace aux autres et à la puissance du collectif. C’est lorsqu’il se met dans l’ombre qu’il permet aux autres d’apparaitre au grand jour et d’exprimer pleinement leur propre originalité et créativité.

L’égo est probablement l’un des obstacles majeurs sur le chemin du développement spirituel et l’accès à un leadership à la hauteur des enjeux de notre époque.

6.      Mettre notre intelligence spirituelle au service du monde

L’égo est probablement l’un des obstacles majeurs sur le chemin du développement spirituel et l’accès à un leadership à la hauteur des enjeux de notre époque.

Comme le dit Otto Scharmer, professeur à Harvard et co-auteur de la théorie U, notre époque nous invite à “passer de l’égo-système à l’éco-système”. Elle invite chaque leader, chaque dirigeant à se décentrer de lui-même pour opérer cette bascule intérieure du « je » au « nous » tout en se reliant à une cause, une mission et une communauté plus grandes que lui.

En prenant conscience des jeux de l’égo qui le limitent et l’enferment dans ses peurs, le leader de demain accède ainsi à une conscience plus vaste de soi, des autres et du monde. Il recontacte sa verticalité spirituelle et remet ses réflexions et son action de leader dans une perspective plus globale et plus holistique : celle du sens véritable qu’il veut donner à sa vie et celle de la contribution singulière que son organisation peut apporter au monde.

Romain CRISTOFINI – Avril 2017

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