Cette question de vocabulaire me tourmente depuis longtemps.

Il semblerait qu’en France, terre du cartésianisme et des élites intellectuelles, le mot soit encore utilisé du bout des lèvres dans nos entreprises. Quitte à accuser un certain retard par rapport à nos voisins européens… La confusion entre religieux et spirituel d’une part, et la laïcité parfois trop rigide d’autre part, semblent nous créer des freins pour voir cette évidence : le spirituel, mot encore largement tabou dans les entreprises, est pourtant déjà partout.

Dans son ouvrage « Reinventing Organisations », quand Frédéric Laloux parle des entreprises « opales » comparables à des organismes vivants, il parle d’inscrire les organisations dans le mouvement plus global de la vie. Et donc de spirituel. Du moins si l’on s’accorde à dire que le spirituel renvoie à notre relation à la Vie (la nôtre, celle des autres et celle plus immanente de la Nature ou de l’Univers).

Quand on parle de « mission de vie » chez les leaders inspirants ou éclairés (« purpose » en anglais), ne fait-on pas référence directement à la dimension transcendante de notre existence ou comment donner un axe à sa vie qui permette de s’accomplir tout en contribuant au monde ?

Quand on parle de préserver la planète, peut-on se limiter à une approche technique de la pollution ou du réchauffement climatique sans questionner notre relation au vivant dans son ensemble et la place de l’Homme au sein de la Nature ? Les politiques RSE normatives et rationnelles ne sont-elles pas vouées à rester limitées si l’on n’y adjoint pas l’amour de la Nature et de ses beautés ?

graphe ici.

Nier le besoin de transcendance qu’ont en commun tous les êtres humains n’a pas de sens. La question est plutôt : doit-on continuer à exclure ou limiter tous les questionnements ou discussions de nature spirituelle au sein des entreprises ? Et ainsi se priver de tout ce qu’elle peut nous apporter comme regard neuf sur nous-même et sur le monde ?

Doit-on continuer à porter un masque (souvent synonyme de prédominance de l’égo dans nos comportements) en refoulant nos aspirations essentielles, nos intuitions, nos rêves et nos idéaux sous prétexte qu’ils ne sont pas démontrables ou réalistes ?

Et si l’intelligence spirituelle, celle qui provient de notre cœur et de notre âme, n’était pas au contraire celle qu’il nous faut convoquer d’urgence pour répondre aux défis de l’entreprise et de la société ?

L’intelligence spirituelle n’offre-t-elle pas des ressources fantastiques pour trouver une raison d’être porteuse d’avenir, donner du sens aux missions des personnes, attirer les talents, aligner les énergies, rebooster l’engagement et redonner du souffle aux aventures humaines ?

Les plus grands leaders de notre histoire récente (Gandhi, Mandela, l’Abbé Pierre, etc.) étaient, à n’en pas douter, reliés à leur intelligence spirituelle. Comment expliquer autrement leur don de soi dans des causes qui les dépassaient autant ? Comment expliquer qu’ils ont su traverser autant d’épreuves sans renoncer, sans se perdre eux-mêmes tout en ralliant autour d’eux autant de personnes?

Les premières recherches formelles sur l’intelligence (et même le quotient) spirituelle datent du début des années 2000. L’ouvrage de Danah Zohar et de Ian Marshall (Spiritual Intelligence, the ultimate intelligence) date de 2001 et a balisé cette intelligence au travers de douze aptitudes dont 6 me paraissent particulièrement critiques pour les leaders éclairés de demain :

  1. Conscience de soi : savoir ce en quoi on croit, ses valeurs et ce qui nous motive profondément.
  2. Spontanéité : vivre dans l’instant présent et être réceptif à ce qui présente à nous.
  3. Indépendance : être capable de faire face à la foule et d’avoir ses propres convictions.
  4. Humilité : avoir le sens d’être un acteur dans une pièce bien plus grande que soi, avoir conscience de sa véritable place dans l’ordre du monde.
  5. Questionner régulièrement le « pourquoi » fondamental : besoin d’aller à la source de la compréhension des choses.
  6. Sentiment de vocation : sentiment d’être appelé à servir, à redonner quelque chose.

Dans notre monde actuel en mutation, je pense qu’il est grand temps que les leaders de l’entreprise, à leur tour, s’autorisent à explorer et cultiver leur intelligence spirituelle. Pour eux-même, pour leur équipe et pour la société.

Celle-ci sommeille en eux et ne demande qu’à jaillir si tant est qu’on se donne l’autorisation d’aller à sa recherche, puis de l’écouter et d’agir selon elle.

Et c’est là que le travail personnel commence…